La première fois que je vins dans le petit jardin de Sadio Cisse, au quartier Abattoirs de Tambacounda, ma première impression fut d'avoir trouvé un petit oasis de verdure au milieu du tas de détritus jonchant le lit du mamacounda.
Sur ce petit carré d'à peine un hectare, Cisse cultivait maïs, salades, gombos, tomates, poivrons, manges, papayes, et quelques plantes aromatiques (menthe, persil...). De l'autre côté de la clôture, les cochons se régalaient des sacs en plastique de la décharge sauvage de la ville. Et dire qu'autrefois le mamacounda était une rivière importante de Tambacounda...
Mais la première fois que je vins chez Cisse, ce n'était ni pour le jardinage ni pour une étude sur les déchets... c'était pour la couvaison de nos oeufs du Limousin, lors de la mission du PNR de Millevaches en mai dernier. Car Cisse, entre autres activités, était aussi aviculteur, et venait d'acquérir une couveuse électrique, la seule de toute la ville. C'est donc dans le petit poulailler de son jardin que nos oeufs furent couvés, ce qui me permit de mieux connaître Cisse et son petit jardin.
En nous voyant arriver maman, moi et Jean-Marie, chacun un carton d'oeufs sous les bras, il ne fallut pas longtemps pour que Cisse nous demande "d'où nous venions en France", cette fameuse question qui se transforme souvent ici en "d'où venez vous à Paris" ? Comme si la France se résumait à Paris... Enfin, cette fois-ci je répondis "Dijon", en me disant qu'au moins la moutarde forte constituait un repère de base pour un sénégalais moyen, faute d'avoir une équipe de foot de renom au Creusot. Cisse me répondit "Macon ? Chalon ? Les 7 écluses d'Ecuisses ?". Je tentai "Le Creusot", et Cisse de répondre "Mais je connais le Creusot, j'ai travaillé 2 ans à Ecuisses !". Incroyable ! Encore un signe du destin dans ce projet... pourvu qu'il nous porte chance !
Dans les années 80, Cisse fit donc "l'aventure", comme on dit ici de ceux qui partent chercher un travail en Europe. Après 2 ans en Saône et Loire, à travailler dans la menuiserie, Cisse remonta 5 ans à Paris puis... rentra au Sénégal. Pour quelles raisons, j'avoue ne pas lui avoir demandé. Mais pendant ces années d'exil, il aura appris ce qu'est le travail... "Car au Sénégal, les gens ne travaillent pas... et comment se développer ainsi ? Les gens ici disent qu'ils n'ont pas de moyens, qu'ils ne peuvent rien faire. Ils ne comprendront jamais qu'il faut créer les moyens !"
Si Cisse est assez pessimiste sur la capacités des populations locales à se sortir seules de leur attentisme, lui a compris ce qu'il faut faire, et il le fait. Dans ses projets : un grand terrain à l'écart de la ville pour cultiver une plus grande superficie, et construire un grand poulailler pouvant accueillir 1000 sujets. Il souhaiterait entre autre développer l'élevage de pintades et celui des volailles "d'ornement", deux créneaux qui selon lui sont porteurs.
A la tête d'un petit GIE d'une quinzaine de personnes, chargées de la production et de la commercialisation des produits, Cisse se bat pour développer son activité et vivre dignement de sa production. Son dynamisme et sa motivation paient. Alors que ses voisins rient de le voir bêcher chaque jour en plein soleil , il réussit à attirer l'attention des projets de la région qui ont tant de mal à trouver des acteurs locaux dynamiques et sérieux.
En passant au jardin l'autre soir, et sentant toute la fraîcheur de la végétation tout juste arrosée, j'eus l'envie d'avoir moi aussi mon petit carré de jardin... Aussitôt dit, aussitôt fait, Cisse me prépara un petit lopin de terre de 2 m2, dans lequel je semai quelques "haricots toucouleurs" que Jean-Marie m'avait laissé. N'ayant pas spécialement la main verte, je donnai un bocal de graines à Cisse. Je crois qu'il fera de bien meilleurs résultats que moi, si l'on regarde la première pousse de haricot qu'il avait semé 10 jours auparavant !